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Enjeux spatiaux de l'éloignement des personnes âgées aux Ehpad

Auteur : François Reynaud (Observatoire des territoires-ANCT)
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Le comité stratégique de lutte contre l’isolement des personnes âgées a été lancé le 15 février 2021 par la ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon. Une des grandes ambitions du comité est de prévenir et rompre l’isolement des personnes âgées en établissement, notamment en Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Dupré-Lévêque et Charlanne1 (2015) ont montré que la présence des proches est essentielle pour une intégration réussie des personnes âgées dans les Ehpad. On peut ainsi penser que l’éloignement de l’établissement d’accueil de leur lieu de vie d’origine couperait d’autant plus les personnes âgées de leurs proches, notamment leur famille, contribuant ainsi à leur isolement.
Les communes françaises se distinguent quant au temps d’accès par la route qui les sépare de l’Ehpad le plus proche2. Lorsqu’elles ne sont pas dotées d’un Ehpad, la moitié d’entre elles en sont situées au maximum à 9 minutes. Il existe cependant des écarts notables entre les communes3 : 10 % des communes se situent à 5 minutes ou moins d’un Ehpad (1er décile), tandis que 10 % le sont à plus de 16 minutes (9e décile). On peut également observer
des différences entre les régions. Dans les anciennes régions Alsace, Aquitaine, Basse-Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Poitou-Charentes et les régions Bretagne, Île-de-France, et Pays de la Loire, les 10 % des communes les plus éloignées d’un Ehpad affichent un temps d’accès à l’Ehpad le plus proche de 15 minutes ou plus. Ce temps est supérieur ou égal à 18 minutes dans les anciennes régions Auvergne, Champagne-Ardenne, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse, ainsi que les Drom. Dans les anciennes régions Bourgogne, Franche-Comté, Limousin, Lorraine et Midi-Pyrénées, les 10 % des communes les plus éloignées d’un Ehpad ont un temps d’accès minimal compris entre 16 et 17 minutes.

Il existe 3 735 communes depuis lesquelles le temps d’accès à un Ehpad par la route est supérieur à 15 minutes.
La majorité d’entre elles sont localisées dans un massif de montagne (52,4 %), et plus spécifiquement dans le Massif central (34,1 % des communes concernées), le massif des Alpes (24,2 %), des Pyrénées (14,8 %) et enfin de Corse (14,5 %). Notons toutefois que les communes les plus éloignées des Ehpad (c’est-à-dire à plus de 30 minutes par la route) sont avant tout situées dans le massif de Corse (46,8 %) ; le Massif central n’arrivant qu’en dernière position (6,8 %).
Les 1 777 communes hors massif situées à plus de 15 minutes d’un Ehpad sont avant tout localisées dans des espaces très peu denses4 (61,4 %) ou peu denses (37,1 %). La plupart de ces communes de faible densité de population ne sont pas des centralités5 (1 538 d’entre elles, soit 87,9 %). Les autres communes font quant à elles surtout office de centralité à l’échelle locale6 (168 communes, soit 79,2 % d’entre elles). En comparaison, les communes situées dans les massifs et à plus de 15 minutes d’un Ehpad sont 82,4 % à être dans des espaces très peu denses et 12,5 % font office de centralité locale. De ce point de vue, ces communes ont donc des caractéristiques similaires à celles qui ne sont pas situées dans un massif. 138 000
personnes âgées de 75 ans ou plus vivent dans une commune localisée à plus de 15 minutes par la route d’un Ehpad
. Si l’on ne s’intéresse qu’aux personnes âgées qui vivent dans les massifs, on observe qu’elles ne sont pas concentrées dans ces derniers de la même façon que les communes. En effet, elles résident à hauteur de 14,8 % dans les Pyrénées alors que cette chaîne de montagne ne compte que 6,7 % des communes situées à plus
de 15 minutes d’un Ehpad et en massif. A contrario les communes les plus éloignées d’un Ehpad sont 0,5 % à être situées dans les massifs des Drom, mais elles accueillent 11,1 % de la population âgée qui vit à plus de 15 minutes d’un Ehpad et dans un massif.

Les personnes âgées de 75 ans ou plus qui ne vivent pas dans un massif tout en étant à plus de 15 minutes d’un Ehpad résident essentiellement dans des communes de faible densité. Elles habitent à 86,8 % dans une commune dont la densité de population est peu dense ou très peu dense, 10,9 % dans une commune de densité intermédiaire et seulement 2,2 % dans une commune densément peuplée. Par ailleurs, 50,8 % de cette population vit dans des communes qui ne font pas centralité (dont 50,9 % dans des espaces très peu denses), 29,4 % dans des communes centralités locales et 13,5 % dans des communes centralités intermédiaires7. Enfin, on soulignera que plus d’un quart de ces personnes âgées de 75 ans ou plus réside dans des communes très peu denses qui ne font pas office de centralité.

Ces résultats posent la question de l’adaptation et de la disponibilité de l’offre en Ehpad, notamment dans les territoires de massifs ainsi que dans les zones les moins denses, afin de lutter contre l’isolement des personnes âgées après leur entrée en établissement et ainsi limiter l’éloignement avec leur environnement d’origine et leur entourage.
L’accessibilité en temps d’accès à l’Ehpad le plus proche n’est probablement pas le seul critère à prendre en compte pour comprendre l’isolement des personnes âgées dans ces structures et le choix d’établissement. D’autres facteurs peuvent entrer en considération pour ce choix tels que le coût de l’hébergement, la composition des équipes encadrantes et soignantes, ou encore la présence d’espaces aménagés pour certaines catégories de personnes âgées (les pôles d’activités et de soins adaptés – PASA, ou les unités d’hébergement renforcées – UHR).

1. Dupré-Lévêque Delphine, Charlanne Didier. Entrée et accueil des personnes âgées en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). In : La Revue de gériatrie. Septembre 2015, 40(7), pp. 409-416.
2. Les temps d’accès sont calculés depuis le centroïde d’une commune qui n’est pas dotée d’un Ehpad, vers le centroïde de la commune la plus proche dotée d’un Ehpad.
3. La suite de l’analyse porte exclusivement sur les communes ne disposant pas d’un Ehpad au sein de leur périmètre.
4. Source : Insee, Grille communale de densité 2021 (cf. annexe p. 120).
5. Les niveaux de centres d’équipements et de services sont issus des travaux de l’étude « Centralités : comment les identifier et quels rôles dans les dynamiques locales et intercommunales ? » réalisée par l’INRAE-CESAER en partenariat avec l’ANCT. Les niveaux de centralité ont été définis au regard de la diversité des commerces et services : plus la diversité des services présents dans la commune est importante, plus le niveau de centralité est élevé. Compte tenu de leur spécificité, les Drom n’ont pas été inclus dans cette analyse (Hilal Mohamed, Moret David, Piguet Virginie. Centralités : comment les identifier et quels rôles dans les dynamiques locales et intercommunales ? 2020, CESAER (Agrosup Dijon / INRAE / Université de Bourgogne-Franche-Comté) et Agence nationale de la cohésion des territoires, 123 p.).

6. Une commune qui fait office de centralité locale dispose simultanément d’une douzaine d’équipements et de services du quotidien ou de « proximité ».
7. Les 6,3 % restant vivent dans des communes situées dans les Drom, pour lesquelles le niveau de centralité n’est pas connu.

  • Dupré-Lévêque Delphine, Charlanne Didier. Entrée et accueil des personnes âgées en Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD). In : La Revue de gériatrie. Septembre 2015, 40(7), pp. 409-416.
  • Hilal Mohamed, Moret David, Piguet Virginie. Centralités : comment les identifier et quels rôles dans les dynamiques locales et intercommunales ? 2020, CESAER (Agrosup Dijon / INRAE / Université de Bourgogne-Franche-Comté) et Agence nationale de la cohésion des territoires, 123 p.

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